Indications selon le terrain
Anesthésie péridurale (ADP)
Indications selon le terrain
Les avantages de l’APD contribuent à la multiplicité de ses indications et conduisent à la proposer dans un certain nombre d’indications à risque. Ces avantages ne peuvent être obtenus que s’ils sont confrontés à une évaluation précise du malade et aux risques inhérents à l’acte chirurgical et anesthésique.
En urgence
La conservation de la vigilance permet d’éviter l’intubation orotrachéale et diminue le risque d’inhalation de liquide gastrique chez le malade à estomac plein. Le blocage sympathique résultant de l’APD contre-indique son utilisation en cas d’équilibre hémodynamique instable.
En traumatologie
La conservation de la conscience et l’absence de retentissement respiratoire permettent, lorsqu’existe une participation thoracique mineure, d’éviter la ventilation mécanique toujours susceptible d’aggraver un pneumothorax partiel.
Elle permet également de poursuivre, pendant l’intervention, la surveillance d’un traumatisé crânien jusque-là asymptomatique. Mais les indications formelles de l’anesthésie générale sont nombreuses en raison par exemple de la présence d’un coma, d’un traumatisme grave, avec lésions multifocales (foie, rate) ou d’une hypovolémie certaine ou en voie de décompensation. L’existence de lésions strictement limitées aux membres inférieurs constitue, par contre, une indication de choix de l’APD comme de la rachianesthésie.
En gériatrie
Bien qu’elle soit considérée par certains comme une technique de choix en gériatrie, l’APD paraît cependant moins sûre au plan hémodynamique que la rachianesthésie continue, en particulier dans la chirurgie de la hanche. Ses avantages résident dans l’absence d’altération de la conscience, mais aussi dans la diminution significative des complications respiratoires et thromboemboliques postopératoires [30, 63, 85]. Si une corrélation précise n’a jamais pu être établie entre le mode d’anesthésie et le taux de complications psychiques postopératoires du vieillard, il n’en demeure pas moins que l’APD permet une réalimentation, une mobilisation et un lever postopératoire précoces[1].
Autres indications
Insuffisant respiratoire chronique
L’APD est intéressante si l’intervention ne requiert pas un niveau de bloc interférant avec la fonction ventilatoire. Cette attitude doit être nuancée, notamment en cas d’intervention longue, supérieure à 2 heures et nécessitant une position inconfortable, chez des patients hypersécrétants. En effet, chez les patients insuffisants respiratoires chroniques, les muscles abdominaux exercent une contraction phasique expiratoire et participent à la ventilation active. Un bloc moteur intéressant la musculature abdominale, notamment lors de la chirurgie sous-ombilicale contribue à diminuer la capacité résiduelle fonctionnelle et peut avoir des conséquences néfastes. Ainsi, la paralysie des muscles abdominaux diminue l’efficacité de la toux. De même, chez le sujet emphysémateux au diaphragme aplati, inefficace, un blocage intercostal étendu peut être à l’origine d’une décompensation ventilatoire. Aussi, l’association d’une APD et d’une narcose peut être utilisée, mais cette technique ne s’est pas montrée supérieure à l’anesthésie générale en termes de morbidité périopératoire [112]. En fait, seule une meilleure connaissance du terrain, du patient, de sa fonction respiratoire et des pathologies qui lui sont associées, peut permettre de réduire l’incidence des complications postopératoires.
Insuffisant coronarien
Les effets bénéfiques de l’APD thoracique sont bien documentés. En effet, la baisse des conditions de charge ventriculaire gauche et le bloc sympathique cardiaque sont à l’origine d’une diminution de la consommation d’oxygène du myocarde [10]. Ces avantages inscrivent l’APD thoracique au premier rang des choix anesthésiques chez le coronarien. Sous réserve du maintien de la stabilité tensionnelle, l’association d’une APD thoracique et d’une narcose est supérieure à l’anesthésie générale dans la prévention des épisodes d’ischémie myocardique chez les patients ayant présenté un infarctus du myocarde moins de 6 mois avant l’intervention.
Insuffisant cardiaque et patient porteur d’une pathologie valvulaire
Les avantages liés à l’APD sont contre-balancés par le risque de décompensation de l’insuffisance cardiaque. Lorsque le bloc sympathique n’atteint pas le sympathique cardiaque, l’APD est responsable d’une baisse de la postcharge qui facilite l’éjection ventriculaire gauche. Cependant, l’APD est également responsable d’une gêne au retour veineux qui diminue le volume d’éjection systolique. La survenue d’une hypotension artérielle risque de compromettre un équilibre déjà précaire. Elle doit être traitée par le remplissage vasculaire et les vasopresseurs. L’éphédrine paraît ici la plus adaptée. A l’inverse, lorsque le bloc sympathique s’étend à l’étage thoracique, le bloc des fibres sympathiques cardiaques est responsable d’effets inotrope et chronotrope négatifs diminuant les possibilités d’adaptation du débit cardiaque aux besoins périphériques [104].
Aussi, l’utilisation d’une APD thoracique est contre-indiquée chez l’insuffisant cardiaque. L’APD lombaire est possible si le retour veineux est maintenu, afin de favoriser l’éjection ventriculaire gauche en réponse à la baisse des résistances artérielles systémiques. Cette baisse des conditions de charge ventriculaire gauche est également intéressante chez les patients porteurs d’une régurgitation mitrale ou aortique. A l’inverse, l’APD est contre-indiquée en cas de sténose aortique ou mitrale ainsi que lors des cardiomyopathies obstructives.
Patient porteur d’une hypertension artérielle
L’APD est une bonne alternative chez l’hypertendu équilibré. A l’inverse, chez l’hypertendu non équilibré, le bloc sympathique peut entraîner une hypotension sévère [31] majorée par l’hypovolémie chronique fréquemment rencontrée chez ces malades.
Patient porteur de troubles de la conduction
Les troubles de la conduction ne contre-indiquent pas l’APD. Cependant, le choix de l’AL doit être discuté. En effet, les AL ont une action directe sur les voies de conduction en rapport avec leur propriété antiarythmique classe I. Ces effets ne se manifestent qu’en cas de surdosage. Pour la lidocaïne, la marge de sécurité est importante puisqu’elle ne perturbe pas la conduction au niveau du faisceau de His à des concentrations plasmatiques supérieures à celles obtenues par voie péridurale [41]. A l’inverse, il n’en est pas de même pour la bupivacaïne. En effet, bien que cette dernière n’altère pas la conduction chez les patients porteurs d’un bloc auriculoventriculaire asymptomatique [42], il faut rester prudent quant à son indication chez ce type de malade. Indépendamment de l’action directe des AL sur les voies de conduction, un bloc sympathique étendu lors d’une APD thoracique peut précipiter un trouble conductif de haut degré[61].
Diabétique
En chirurgie pelvienne et abdominale basse, l’APD aux AL atteignant T6 permet de bloquer la réponse hyperglycémique secondaire au stress chirurgical. Mais de tels niveaux de bloc entraînent une suppression de la réponse pancréatique à une charge en glucose. A l’inverse, lors de la chirurgie thoracique ou abdominale haute, la réponse neuroendocrinienne semble peu modifiée par l’APD.
Asthmatique
L’ALR est préférable à l’anesthésie générale chaque fois qu’elle est possible. En effet, la nécessité de pratiquer une intubation orotrachéale majore l’incidence favorisée par une anxiété importante, générée par le contexte opératoire, ou par un bloc de haut niveau diminuant la force des muscles inspiratoires intercostaux.
Lorsque le niveau du bloc est supérieur à T5, le volume de réserve est abaissé de 50 % [47]. Une crise d’asthme peut également être favorisée par le bloc des muscles expiratoires, notamment des muscles abdominaux, qui diminue l’efficacité de la toux et majore le risque d’obstruction bronchique.
Patient porteur d’une pathologie neurologique
L’APD a été proposée de façon anecdotique pour traiter les problèmes de spasticité ou d’hyperréflexie du système nerveux autonome lors des paraplégies.
La stimulation électrique de la moelle cervicale par voie péridurale permet de diminuer l’incidence des dystonies et de réduire le nombre de contractions myocloniques, observées dans certaines pathologies [53]. L’injection de midazolam par voie péridurale a été proposée dans le traitement des syndromes spastiques secondaires aux lésions médullaires. Ce traitement est efficace pour vaincre la spasticité, mais les effets secondaires, notamment la somnolence, limitent son utilisation courante [32]. La péthidine semble efficace pour traiter les hyperréflexies du système nerveux autonome observées dans les suites des sections médullaires [4].
L’acutisation de pathologies neurologiques a par ailleurs régulièrement été rapportée dans la littérature, sans que la responsabilité de l’APD ait clairement pu être démontrée. Celle-ci a cependant été incriminée dans de rares cas : paraplégie chez un patient porteur d’un canal lombaire étroit [24], poussée évolutive d’une sclérose en plaque [126]. L’éventualité d’une relation entre anesthésie et évolution de la maladie neurologique souligne toutefois la nécessité d’un interrogatoire et d’un examen neurologique préanesthésique soigneux ainsi que de l’abstention de la méthode en cas de doute.
Anesthésie péridurale en pratique ambulatoire
L’APD lombaire ou caudale a été proposée dans le cadre de la chirurgie ambulatoire. Les produits injectés doivent avoir une durée d’action et une demivie courtes.
La lidocaïne représente donc l’AL de choix, la chloroprocaïne et la mépivacaïne n’étant pas commercialisées en France. Les opiacés n’ont aucune place dans ce type d’anesthésie. L’aptitude à la rue est évaluée après disparition du bloc sensitivomoteur, d’une durée moyenne de 3 heures avec la lidocaïne. Il est également nécessaire de procéder à une évaluation des paramètres hémodynamiques (pouls, pression artérielle en décubitus et en orthostatisme), de la déambulation, et du contrôle de la capacité volontaire à uriner avant d’autoriser la remise à la rue [108].
Anesthésie péridurale et rachianesthésie combinée
Cette technique a été récemment décrite en chirurgie orthopédique et obstétricale [22]. Son développement est favorisé par la fabrication de kits associant le matériel nécessaire pour l’APD à des aiguilles de 26 G pour rachianesthésie. Cette méthode permet de raccourcir le délai d’installation du bloc, grâce à la rachianesthésie, puis d’en adapter le niveau et la durée grâce à l’APD. Elle permet également l’analgésie péridurale postopératoire [22].
Analgésie péridurale
peuvent être proposées dans le cadre d’affections strictement médicales.
Analgésie postopératoire
L’analgésie péridurale doit être réservée aux opérés ayant une douleur postopératoire sévère ou prévue comme telle, et tout particulièrement si cette douleur interfère avec les possibilités de ventilation et de toux efficaces. Les indications majeures sont représentées par les suites de la chirurgie thoracique et/ou abdominale. Dans de nombreux cas, l’analgésie péridurale fait suite à une anesthésie réalisée par cette voie, mais bien souvent elle n’est mise en place qu’en phase postopératoire immédiate. Sa mise en oeuvre doit, dans tous les cas, être précoce et précéder l’apparition des phénomènes douloureux. L’utilisation exclusive des AL, qui était de règle dans les années 1970, a progressivement cédé la place aux opiacés. Une meilleure connaissance des effets adverses liés à ces derniers rend compte de la tendance actuelle à associer ces deux types d’agents afin d’améliorer la qualité de l’analgésie, tout en réduisant l’incidence des effets collatéraux. L’APD améliore de façon spectaculaire le confort du malade et permet la kinésithérapie respiratoire postopératoire. Elle peut, dans bon nombre de cas, faciliter et hâter le sevrage de la ventilation mécanique. Toutefois, Jayr et coll. [63] ont montré que cette technique ne permet pas une réduction significative du taux de complications respiratoires après chirurgie abdominale. Après chirurgie thoracique, l’administration péridurale lombaire de morphine améliore la fonction respiratoire (capacité vitale, VEMS, débit de pointe) plus efficacement que la voie intraveineuse. L’administration d’AL est également efficace, soit en bolus itératifs, soit en administration continue, mais il n’existe aucune étude contrôlée évaluant les paramètres ventilatoires après APD aux AL après chirurgie thoracique. L’association bupivacaïne-morphine procure une analgésie plus intense que l’un ou l’autre de ces agents séparément et l’altération de la fonction respiratoire semble moins importante qu’après une technique d’analgésie plus conventionnelle. L’APD postopératoire est également utilisée avec efficacité dans d’autres types de chirurgie, notamment des membres inférieurs, du bassin et du rachis.
Traumatologie thoracique
Les traumatismes thoraciques sévères (volet costal, fractures multiples de côtes) représentent une indication intéressante d’ALR et notamment d’APD. Lorsqu’il n’existe pas de lésions associées graves et/ou de contusion pulmonaire étendue, l’APD permet d’éviter la ventilation mécanique systématique. Elle exerce un effet bénéfique sur les paramètres ventilatoires ainsi que sur la morbidité propre liée à la ventilation contrôlée, notamment sur les complications infectieuses. De plus, l’APD diminue de façon significative le nombre de trachéotomies et la durée totale d’hospitalisation en réanimation. Les AL utilisés seuls ont fait la preuve de leur efficacité, ainsi que les opiacés ou l’association des deux. La perfusion péridurale continue de bupivacaïne à l’étage thoracique semble responsable d’une amélioration plus importante de la fonction ventilatoire que l’analgésie péridurale morphinique lombaire. Dans ce contexte, un monitorage attentif s’impose, utilisant notamment l’oxymétrie de pouls. Afin de ne pas retarder la nécessité d’une ventilation contrôlée, il a été proposé des critères d’abandon du traitement non ventilatoire des traumatisés thoraciques graves : fréquence respiratoire supérieure à 25/min, fréquence cardiaque supérieure à 100 battements par minute, pression artérielle systolique inférieure à 100 mmHg, hypoxie et hypercapnie persistantes, lésions abdominales ou crâniennes associées.
Indications médicales
Elles sont plus méconnues et n’ont fait l’objet que de peu de séries cliniques contrôlées.
Pancréatite aiguë
Le consensus s’est progressivement développé à l’heure actuelle pour repousser si possible la chirurgie à la phase secondaire de l’évolution des pancréatites aiguës (8e au 15e jour). Parmi les impératifs du traitement médical à la phase initiale, l’analgésie représente un point important. Diverses techniques sont utilisables. Par rapport à l’administration d’antalgiques par voie générale, l’APD semble procurer une analgésie de meilleure qualité ainsi qu’une sédation moindre et une meilleure coopération du malade à l’indispensable kinésithérapie respiratoire. Les AL sont utilisable, par voie péridurale à condition d’obtenir un bloc sensitif de niveau supérieur D6. On utilise également l’APD morphinique ou l’association AL-opiacé. Compte tenu des faibles doses employées, il semble que l’injection péridurale d’opiacés n’ait pas de conséquences sur le tonus des voies biliaires et du sphincter d’Oddi.
Douleur aiguë de l’infarctus du myocarde
La première utilisation de l’APD thoracique dans le contexte de l’infarctus à la phase aiguë date de 1977, pour diminuer l’intensité de la douleur et limiter l’instabilité hémodynamique. Des travaux expérimentaux ultérieurs ont montré l’effet positif de l’APD aux AL sur l’étendue de l’infarctus expérimental. Plusieurs études ont été réalisées chez des patients ayant un angor instable et montrent une régression de la douleur, une diminution de la consommation d’oxygène et du travail myocardique sans modification de la pression de perfusion coronaire.
Les variations de fréquence cardiaque, de pression artérielle et de contractilité du ventricule gauche restent très modérées. Le résultat global est une amélioration de la balance énergétique du myocarde chez le coronarien. L’APD cervicothoracique semble donc représenter une thérapeutique efficace, pouvant faciliter le traitement des angors instables résistant au traitement médical.
Algologie chronique
L’analgésie morphinique par voie péridurale n’offre actuellement qu’un intérêt relatif dans le traitement des algies rebelles d’origine néoplasique. Elle est peu à peu remplacée dans cette indication par la morphine à libération prolongée administrable par voie orale. Le recours à la voie péridurale dans le traitement des algies néoplasiques paraît cependant intéressant lorsque l’espérance de vie des patients est suffisante (2 à 3 mois). Dans ce cadre, l’utilisation de cathéter tunnellisé avec dispositif implantable ou relié à une pompe portable permet de limiter le risque infectieux. La durée de vie moyenne de ces dispositifs est de 60 jours [35]. Le recours à des pompes portables ou à des dispositifs permettant une administration autocontrôlée facilite le traitement ambulatoire de ces patients et permet une amélioration notable de leur qualité de vie [73]. L’apparition de douleurs rebelles malgré de fortes doses de morphine doit faire envisager la possibilité de déplacement du cathéter ou le développement d’une tolérance à cet agent. Dans ce cadre, le recours temporaire à la clonidine a permis d’obtenir d’excellents résultats [40].
Intérêt de l’APD par rapport à la rachianesthésie
La rachianesthésie possède à son actif une technique plus aisée, un pourcentage d’échecs moindre, un moindre risque toxique des AL, une latence d’installation plus brève. L’APD offre d’autres avantages, notamment la possibilité d’analgésie sans bloc moteur, la possibilité d’être réalisée à tous les étages du rachis, un moindre risque céphalalgique et la possibilité de conserver le cathéter pour l’analgésie postopératoire. Elle partage, avec la rachianesthésie continue, une meilleure tolérance hémodynamique.