Transfusion de concentrés de plaquettes
Dans le cas des transfusions de plaquettes, les situations d’incompatibilité n’ont pas les mêmes conséquences que pour les produits érythrocytaires, car on ne retrouve pas le risque d’hémolyse. D’autre part, bien que les transfusions de plaquettes soient abordées dans les bonnes pratiques de distribution des produits sanguins labiles, il n’y a pas, contrairement à la transfusion de globules rouges, de cadre réglementaire précisant les examens prétransfusionnels obligatoires. Plusieurs systèmes de groupes sanguins portés par les plaquettes peuvent être à l’origine de situations d’incompatibilité. Il peut s’agir de systèmes ubiquitaires, portés par d’autres cellules que les plaquettes, et de systèmes de groupes spécifiques des plaquettes.
Rôle de la compatibilité dans le système ABO
Les plaquettes portent sur leur membrane les antigènes du groupe sanguin ABO.
Aster signalait déjà en 1965 [3] l’importance des antigènes ABO dans la recirculation posttransfusionnelle des plaquettes.
Plus récemment, deux études prospectives avec tirage au sort ont analysé l’influence de la compatibilité ABO sur l’efficacité des transfusions de plaquettes. Dans la première [34], 40 nouveaux malades en traitement d’induction de leucémie aiguë ont reçu en alternance des CP ABO identiques et ABO incompatibles. L’efficacité des transfusions était jugée sur l’augmentation de la numération plaquettaire corrigée par la surface corporelle (CCI). Dans cette étude, la première transfusion n’était pas affectée par une incompatibilité ABO. Cependant, dès la deuxième transfusion incompatible, l’efficacité des transfusions de plaquettes était diminuée, notamment chez les malades ayant des anticorps anti-A et B (hémolysines) à taux élevé. Dans une autre étude [22], 40 malades en traitement d’induction pour hémopathie maligne ont été transfusés soit en situation ABO identique, soit par des CP non sélectionnés dans le système ABO. Les 25 premières transfusions de chaque patient ont été analysées.L’efficacité des transfusions, jugée sur le CCI, était meilleure en situation ABO identique, l’effet étant plus prononcé sur l’analyse des dix premières transfusions. À partir de ces données, on doit considérer que le respect de la compatibilité ABO est fortement recommandé, notamment pour les malades à transfuser à long terme en plaquettes. En pratique, il peut arriver que la disponibilité réduite de CP conduise à ne pas respecter la compatibilité ABO. Il faut, dans cette éventualité, rechercher chez les patients à transfuser la présence éventuelle d’anticorps anti-A et/ou B hémolysants ou immuns, et en tenir compte pour le choix des produits à transfuser. Après transfusion ABO incompatible, il est important de répéter cet examen, car on sait que les anticorps anti-A et anti-B immuns peuvent se développer rapidement, notamment après transfusion de plaquettes de groupe A1 à un receveur O [58].
Rôle de la compatibilité dans le système HLA (human leukocyte antigen)
Les antigènes de classe I du système HLA:
(HLA-A et B)sont présents sur pratiquement toutes les cellules de l’organisme, y compris les plaquettes.
Le système HLA est très polymorphe, et ses antigènes sont très immunogènes. Les leucocytes présents dans les CP portent les antigènes de classe I et certains portent également les antigènes de classe II (HLA-DR, DP et DQ). La présence simultanée sur la membrane cellulaire d’antigènes de classes I et II est nécessaire pour induire une réponse primaire contre les antigènes de classe I [5, 7]. Ce sont donc les leucocytes présents dans les produits sanguins labiles qui sont à l’origine des immunisations primaires. En revanche, l’induction d’une réponse secondaire est possible avec les seules plaquettes [13]. Il est donc possible de prévenir partiellement l’apparition d’une immunisation HLA en utilisant des produits sanguins cellulaires (CP et CGR) déleucocytés [1, 41].
Au-delà de réactions d’intolérance transfusionnelle qui se manifestent le plus souvent par un syndrome associant frissons et hyperthermie, les anticorps anti-HLA peuvent être responsables d’une inefficacité des transfusions de plaquettes, avec absence de recirculation post-transfusionnelle [27].
Cet état réfractaire aux transfusions de plaquettes met les patients thrombopéniques dans une situation de risque hémorragique majeur en l’absence de produit sélectionné.
Il est possible de sélectionner des CP dans le système HLA. Cette sélection peut se faire de façon d’autant plus satisfaisante que l’on a préalablement déterminé le phénotype HLA du receveur, ce qui permet de rechercher des CP antigénocompatibles (tableau IV). On peut distinguer trois grades d’antigénocompatibilité : l’identité totale entre donneur et receveur (grade A) est exceptionnelle, eu égard au polymorphisme du système HLA. La situation où le donneur n’apporte pas d’antigène connu différent du receveur (grade B), dans la limite des groupes de réactions croisées, reste favorable. Enfin, le donneur peut porter un ou plusieurs antigènes différents de ceux du receveur (grade C) ; l’important dans ce cas est que le patient ne possède pas d’anticorps contre les antigènes en question. En cas d’anticorps anti-HLA connu, la sélection de CP compatibles dans le système HLA doit être impérativement contrôlée par une épreuve de compatibilité, généralement effectuée par la technique de lymphocytotoxicité. Il est important que soient testés l’échantillon de sérum le plus récent possible, mais également les échantillons de sérum antérieurs les plus positifs, ces anticorps évoluant dans le temps. Les lymphocytes à tester sont si possible sélectionnés selon les critères d’antigénocompatibilité mentionnés au paragraphe précédent. Cette double sélection donne la plus grande sécurité à la fois pour l’efficacité de la transfusion plaquettaire et l’avenir immunologique du receveur [12, 21].
Rôle de la compatibilité dans les systèmes HPA (human platelet antigen)
Les antigènes spécifiques aux plaquettes sont
portés par des glycoprotéines de la membrane plaquettaire.
Une nouvelle nomenclature homogène a été instituée en 1990 [63]. Dans chacun des cinq systèmes bialléliques, l’antigène a est toujours celui qui a la plus grande fréquence génique. Le test de référence pour le dépistage de ces anticorps antiplaquettes est le MAIPA (monoclonal antibody immobilization of platelets antigens) [32].
La plupart des cas d’immunisation correspondent aux patients dépourvus de l’antigène le plus fréquent, contre lequel ils développent un anticorps lors d’une transfusion ou d’une grossesse. Les anticorps antiplaquettes sont rarement observés, y compris chez les patients transfusés de façon itérative en plaquettes, et sont rarement responsables d’inefficacité transfusionnelle plaquettaire [15]. L’anticorps anti-HPA-1a est particulier, car il peut être responsable d’une thrombopénie néonatale allo-immune, mais également d’un accident transfusionnel rare, le purpura thrombopénique post-transfusionnel. L’anticorps peut par un mécanisme complexe provoquer une thrombopénie profonde dans les 8 à 15 jours suivant une transfusion incompatible. Pour éviter que cette complication se reproduise ultérieurement, la personne immunisée devra recevoir des CGR dépourvus de plaquettes, et des produits plaquettaires qui ne contiennent pas l’antigène HPA-1a, préparés et conservés congelés dans un nombre restreint d’établissements de transfusion sanguine (en Ile-de-France, c’est l’établissement de l’hôpital Saint-Antoine).
Rôle de la présence de globules rouges dans les concentrés de plaquettes
Dans chaque CP il y a une petite quantité de globules rouges résiduels,
généralement inférieure à 0,5 mL. Certains antigènes de groupe sanguin portés par les globules rouges, comme les antigènes Rh, Kell, Duffy et Kidd ne le sont pas par les plaquettes. Ils peuvent provoquer une immunisation du receveur. En raison de la faible disponibilité de produits et d’autres contraintes prioritaires, il est fréquent que la compatibilité RhD ne soit pas respectée en transfusion de plaquettes. Il est essentiel dans ce cas, notamment pour les femmes en âge de procréer, de prévenir cette allo-immunisation en prescrivant une injection d’Ig anti-D (100 μg en intraveineux) de préférence immédiatement, et au plus tard 72 heures après la transfusion de plaquettes. Comme pour la prévention en cas de grossesse, la présence d’anti-D circulant doit être contrôlée le lendemain, et l’injection développent un anticorps anti-D [16]. Dans notre propre expérience nous appliquons cette prévention systématiquement pour tous les malades RhD négatifs qui reçoivent des produits plaquettaires ou plasmatiques qui proviennent de donneurs RhD positifs. Entre 1990 et 1995, parmi 120 malades dans cette situation, nous avons observé une seule immunisation anti-D, liée à l’absence d’injection d’anti-D à la suite d’une transfusion RhD incompatible.
L’allo-immunisation contre d’autres antigènes portés par les globules rouges est toujours possible et un malade qui n’a reçu que des plaquettes doit avoir une RAI avant toute transfusion de globules rouges ultérieure.
Organisation pratique de la sélection de concentrés de plaquettes
Outre la détermination des groupes ABO et RhD,
il est utile d’associer au bilan prétransfusionnel du patient la recherche d’anti-A et/ou d’anti-B immuns. De surcroît, le risque d’inefficacité de la transfusion de plaquettes en cas d’immunisation anti-HLA étant important, il est recommandé de rechercher ces anticorps chez les sujets à risque, essentiellement les femmes ayant eu des grossesses et les personnes ayant été transfusées.
Situation chirurgicale
Dans les situations chirurgicales où la transfusion de plaquettes est prévisible,
les examens peuvent être prescrits lors de la consultation préanesthésique. La négativité du bilan mentionné ci-dessus permettra de prédire une bonne efficacité de la transfusion. En cas de présence d’anticorps immuns anti-A et/ou anti-B, l’emploi de CP ABO identiques est impératif. En cas de présence d’anticorps anti-HLA, l’établissement de transfusion sanguine pourra rechercher un produit compatible dans les meilleures conditions.
Situation médicale
Au-delà du bilan initial déjà mentionné,la recherche d’anticorps anti-HLA doit être régulièrement répétée chez les patients amenés à être transfusés en plaquettes de façon itérative.Pour éviter les résultats faussement négatifs, l’examen doit être fait à distance des transfusions. En pratique, le mieux est de le réaliser immédiatement avant chaque transfusion.
Sélection de produits en cas de transfusion inefficace
La recherche d’une cause immunologique doit être recherchée, et les produits compatibles recherchés en cas de positivité.Mais il faut savoir que l’inefficacité des transfusions de plaquettes n’est pas toujours liée à un facteur immunologique.Les principaux facteurs d’inefficacité sont la fièvre, une infection, une splénomégalie, une maladie veino-occlusive, et une consommation périphérique par coagulation
intravasculaire disséminée ou microangiopathie thrombotique. Dans ces cas, la recherche d’une recirculation plaquettaire post-transfusionnelle est illusoire.
Situations particulières : nouveau-né et greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques
Le produit plaquettaire est avant tout un produit plasmatique. En général on ne tient pas compte des anticorps naturels présents dans le plasma d’un produit plaquettaire. Dans certaines circonstances ces anticorps peuvent être néfastes. Nous avons déjà vu les règles à observer dans le cas de greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques ABO incompatibles (cf supra). En cas de transfusion plaquettaire chez un nouveau-né, le plasma du produit plaquettaire doit être compatible avec les globules de ce dernier. Toute transfusion chez un nouveau-né est à considérer comme une transfusion massive et les anticorps immuns présents dans le plasma sont à prendre en considération.
En cas de thrombopénie néonatale due à un anticorps maternel par exemple un anti-HPA- 1a, on peut opter pour une transfusion de plaquettes maternelles qui seront par définition compatibles. Il s’agit d’une des rares indications justifiée médicalement de transfusion intrafamiliale. L’irradiation du produit est obligatoire dans ce cas.