Hémodilution normovolémique préopératoire
Cette technique est née, semble-t-il, aux États-Unis, au sein de l’équipe de Moore, et a été ensuite introduite en Europe par Kloevekorn [105]. Le principe mis en avant est simple : si un patient de 70 kg perd, pendant son opération, 2 000 mL de sang à Ht de 40 %, il aura perdu 800 mL de GR. Si son Ht est à 30 %, il ne perd que 600 mL de GR. En fait, cet énoncé ne correspond pas tout à fait à la réalité car, en pratique, le patient qui perd une telle quantité de sang est nécessairement perfusé avec un soluté de remplissage, et son Ht s’abaisse au fur et à mesure du saignement, si bien que dans la première hypothèse il ne perd en réalité que 650 mLde GR et l’Ht final est à 27 %. Dans la deuxième hypothèse, il perd 500 mL de GR pour un Ht final à 20 %. La différence réelle des pertes en GR est donc plus faible, mais le raisonnement reste globalement valable, à la condition que l’on admette aussi que dans le premier cas le seuil transfusionnel pendant l’opération soit à 27 %, et que dans le deuxième cas il soit à 20 %.On voit donc tout de suite que si, dans la deuxième situation, le médecin estime que le seuil transfusionnel de son patient doit être aussi à 27 %(ce qui serait logique puisqu’il s’agit du même patient), il va devoir commencer à retransfuser très précocement le sang qui a été prélevé pour abaisser l’Ht. On calcule que la quantité deGRéconomisée sera alors réduite de moitié (85 mLau lieu de 150 mL), et l’intérêt de l’HDNV sera finalement très limité. Dans lepremier cas (Ht = 40 %), on se sera contenté de perfuser pendant l’opération un soluté de remplissage, alors que dans le second cas, on aura aussi fait un prélèvement et une retransfusion inutiles.
Il est donc nécessaire d’avoir toujours présent à l’esprit que, pour être efficace, une HDNV doit s’accompagner, pendant toute la période de saignement, d’un abaissement relativement important du seuil transfusionnel. Pour justifier l’HDNV, il ne suffit donc pas d’énoncer un principe séduisant, il faut aussi préciser ses conditions de validité. Une autre condition, tout aussi importante, est que le saignement chirurgical soit nettement supérieur à la quantité de sang qu’il a été nécessaire de prélever pour abaisser l’Ht avant l’opération. On voit sur la figure 3, que dans l’exemple ci-dessus, la quantité de sang à prélever pour une HDNV à 30 %, est de l’ordre de 1 450 mL. Pour revenir à notre exemple initial où la perte chirurgicale était par convention de 2 000 mL, si le seuil transfusionnel avait été fixé à 27 %, le patient qui n’a pas eu d’HDNV n’aurait pas eu besoin de recevoir du sang homologue. Si, dans ces conditions, on avait réalisé une HDNV, il aurait été nécessaire que le saignement soit supérieur à 2 000 mL pour que cette technique participe à une épargne de sang homologue.
On voit donc à travers ces exemples que malgré la diminution des pertes de GR qu’elle permet en théorie, une hémodilution peut ne pas entraîner une diminution de l’exposition au sang homologue, ce qui est pourtantson objectif principal et sa raison d’être. L’efficacité d’une HDNV dépend de l’importance de la dilution réalisée avant l’intervention. Elle dépend aussi de l’importance du saignement et du seuil transfusionnel que l’on s’est fixé pour la période postopératoire immédiate. Un autre avantage attendu de l’HDNV est la possibilité de disposer, à la fin de l’intervention, de plusieurs poches de sang frais, comportant notamment l’équivalent de plusieurs « unités standards »
de plaquettes prélevées depuis moins de 6 heures, et de plusieurs unités de plasma frais riches en facteurs labiles de la coagulation. C’est la raison pour laquelle il a été proposé, aux États-Unis, de préparer secondairement, à partir du sang qui a été prélevé pour réaliser l’HDNV et en utilisant un séparateur de cellules, des concentrés de GR et du plasma enrichi en plaquettes (PRP). Ce PRP peut être administré à visée hémostatique, pendant ou après l’intervention, indépendamment des GR.
Questions pratiques
Pour diminuer l’Ht du patient avant que le chirurgien ne commence à inciser, il faut prélever un certain volume de sang que l’on compense, volume à volume, avec une solution cristalloïde ou colloïde dont le choix sera discuté plus loin. Derrière ce simple énoncé, se cache un certain nombre de questions et de problèmes techniques.
Calcul du volume à prélever
Le prélèvement de sang et son remplacement simultané par un soluté non sanguin conduisent à la dilution progressive des hématies, ainsi d’ailleurs que des autres constituants du sang. La décroissance de l’Ht se fait suivant la courbe théorique de perte-dilution, qui est une exponentielle décroissante. Si Hi est l’Ht initial, Hf est l’Ht final, Vth le volume sanguin théorique et V le volume prélevé (ou le volume des pertes), à chaque instant, la valeur de l’Ht est donnée par l’équation 1 : Hf = Hi z e-V/Vth
L’expression graphique de cette équation est représentée par la famille de courbes de la figure 3.
La valeur du volume à prélever (V) pour atteindre un certain Ht (Hf) est fournie par l’équation 2 :
V = Vth z In Hi
Hf
Comme il n’est pas usuel de disposer d’une table de logarithmes en salle d’opération, le plus simple est de se référer à des abaques, tels ceux de la figure 3. Le volume lu en abscisse correspond à la situation d’un patient de 70 kg. Pour en déduire le volume à soustraire pour un patient d’un poids différent, il suffit alors d’appliquer à la valeur lue en abscisse, une simple règle de trois, puisque les volumes sanguins sont proportionnels au poids. Il existe un nomogramme qui permet d’éviter cette règle de trois et qui permet aussi de tenir compte des petites différences qui existent dans la relation volume sanguin-poids d’un sexe à l’autre [101].
Bien que ce nomogramme soit très séduisant, il présente l’inconvénient de ne pas être très facile à expliquer, ce qui en limite la diffusion.
On a proposé des simplifications de la formule 2 [24, 75]. Parce qu’elle est la plus simple à mémoriser, tout le monde utilise maintenant la formule
de Gross :
V=Vth × Hi – Hf / Hi + Hf2
V = volume sanguin à soustraire pour abaisser l’Ht de Hi à Hf ; Vth = 70 mL/kg chez l’homme, et 65 mL/kg chez la femme. Pour les patients obèses, il faut compter respectivement 65 et 60 mL/kg.
Cette formule est tout à fait acceptable tant que Hi-Hf reste inférieur à 15-20 %, mais si l’on est amené à réaliser des hémodilutions plus poussées, il est plus juste de se référer aux abaques de la figure 3.
Technique de prélèvement
Le sang est prélevé dans des poches contenant une solution anticoagulante qui est maintenant une solution CPDA. L’idéal est d’avoir un dispositif pour HDNVqui comporte plusieurs poches reliées entre elles par une tubulure en Y et qui est muni d’une connexion luer lock au niveau du cathéter de prélèvement. Il existe des dispositifs à deux poches, proposés pour l’adulte (450 mL), ou l’enfant (250 mL). On s’assure avant le prélèvement que la date de péremption des poches n’est pas dépassée.
La qualité d’un tel prélèvement dépend en partie de la vitesse d’écoulement du sang dans la tubulure, et il serait illogique de ne pas appliquer au sang autologue les mêmes règles de bonne pratique applicables au sang homologue. Ces règles imposent qu’un prélèvement de 450 mL de sang total soit fait en moins de 10 minutes. Nous verrons plus loin les implications de cette règle.
Il est important que cette poche soit doucement agitée pour que le sang se mélange bien à la solution CPD. Comme, d’autre part, le volume prélevé doit être connu avec une bonne précision, donc par une pesée, il faut pouvoir disposer d’une balance agitatrice que l’on trouve dans tous les établissements de transfusion.
Une fois le prélèvement effectué, la tubulure de prélèvement doit être fermée de façon étanche, soit à l’aide d’une soudeuse, soit grâce à une pince à fermeture irréversible.
Chaque poche pour HDNV comporte une étiquette différente de celles qui sont destinées au sang homologue. Les informations contenues sur ces étiquettes doivent comporter au moins le nom et le prénom du patient (nom patronymique pour les femmes), et le numéro d’ordre du prélèvement. Les indications à transcrire sur ces étiquettes doivent avoir été approuvées par le Comité de sécurité transfusionnelle et d’hémovigilance (CSTH) local, ou la CME des établissements privés [46].
Ces poches doivent être conservées moins de 6 heures à température ambiante [46]. Ce sang doit être utilisé en salle d’opération ou en salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI). Bien que la formulation de la circulaire ne soit pas très claire, il faut considérer que s’appliquent à ce sang les mêmes recommandations que pour le sang récupéré pendant l’opération, à savoir que la dernière poche autologue retransfusée doit être mise en perfusion en salle d’opération ou en SSPI, avant que le patient ne remonte dans sa chambre [46].
Dès lors que ces poches sont détachées du patient, il est indispensable de leur appliquer, avant transfusion, les mêmes règles du contrôle ultimeABO qui s’appliquent pour tous les autres sangs autologues, surtout si ces poches sont reperfusées en SSPI ou si elles ont séjourné dans le réfrigérateur à sang autologue du bloc opératoire. Ce sang, qui n’a pas été déleucocyté, devrait être retransfusé au travers d’un filtre à microagrégats.
Dans quel ordre retransfuser les poches d’hémodilution normovolémique ?
En France, il est recommandé, de façon quelque peu dogmatique, de commencer la retransfusion par la dernière poche prélevée et de terminer par la première poche. En fait, l’ordre de retransfusion doit être guidé par la situation clinique. Si on est en présence d’un saignement chirurgical important qui va imposer d’avoir recours à ces poches avant la fin de l’intervention, on a tout intérêt à commencer par utiliser d’abord la dernière poche, parce que son Ht est le plus proche de celui du patient, ce qui permet de rester dans la logique de la HDNV. En revanche, si la retransfusion peut n’être envisagée que lorsque l’hémostase chirurgicale est terminée, il y a alors intérêt à commencer par retransfuser le sang le plus riche en hématies. Cet ordre de retransfusion nous semble d’autant plus justifié que le saignement chirurgical n’a pas été très important et/ou que l’on a de bonnes raisons de penser que le patient a une capacité limitée à supporter une hypervolémie. Il pourrait théoriquement être intéressant de commencer aussi par retransfuser la première poche si, en cours d’intervention, apparaissaient les signes d’un saignement médical (hémorragies à distance ou reprise hémorragique au niveau de zones où l’hémostase était acquise). C’est en effet cette poche qui contient la plus forte concentration de plaquettes et de facteurs de la coagulation.
Quel soluté de remplissage utiliser ?
Deux contraintes doivent être prioritairement prises en compte :
– craindre une situation d’hypervolémie lors de la retransfusion. La logique d’efficacité de la HDNV implique que l’on ne soit pas amené à jeter une partie du sang prélevé, ce qui annulerait peu ou prou l’intérêt de l’HDNV. D’un autre côté, l’abaissement marqué de l’Ht pendant toute la période peropératoire implique nécessairement une normovolémie.
– le corollaire est donc d’avoir la possibilité médicale de contrôler rapidement la volémie par l’utilisation de diurétiques.
Ces deux contraintes impliquent de ne pas utiliser, pendant le prélèvement, des colloïdes de longue durée d’action, et d’associer, pour la compensation du prélèvement, des cristalloïdes et des colloïdes de courte durée d’action. Avec des cristalloïdes, on compense le volume prélevé dans le rapport 2/1 ou 3/1, alors qu’avec les colloïdes la compensation se fait dans le rapport 1/1.
L’éventualité d’un recours aux diurétiques, chez des patients sous anesthésie, implique aussi la mise en place initiale d’une sonde vésicale, ce qui n’est pas souhaitable lors des interventions prothétiques en orthopédie, à cause du risque infectieux potentiel, et peut donc remettre en cause l’indication de l’HDNV dans cette chirurgie.
Quelle voie utiliser pour le prélèvement ?
Le prélèvement est de meilleure qualité lorsque l’écoulement dans la tubulure se fait régulièrement et à une vitesse assez soutenue (inférieure ou égale à 10 min pour une poche). Sous anesthésie générale, il est souvent difficile de remplir cette condition en utilisant une voie veineuse périphérique, même si elle est de gros calibre. Pour prélever une demimasse sanguine dans un temps qui n’excède pas 1 heure, il faut avoir recours à une voie veineuse centrale de bon calibre (Desilet 9 ou 7 F par voie jugulaire interne), ou utiliser une artère radiale. Ces deux abords vasculaires ne sont pas tout à fait dénués de risque iatrogène, et la voie artérielle n’est justifiée pour réaliser les prélèvements que si un abord artériel est aussi indiqué pour le monitorage périopératoire du patient.
Prélever avant ou sous anesthésie générale ?
Le confort des patients et la nécessité de ne pas perdre trop de temps dans un bloc opératoire font que les prélèvements sont généralement réalisés sous anesthésie générale. La réalisation de l’hémodilution interfère peu avec la cinétique des principaux produits anesthésiques. En revanche,en fin d’intervention, il a été observé que la réinjection du curare contenu dans les poches de sang prélevées peu après l’induction anesthésique pouvait entraîner des signes indiscutables de recurarisation quand on utilise du vécuronium [136, 184].Avec ce produit, le single twitch diminue de près de 30 % lors de la retransfusion [184], alors qu’il ne diminue pratiquement pas si le curare utilisé est l’atracurium, très vraisemblablement parce que la réaction d’Hofman se poursuit normalement dans les poches.
Doit-on réaliser les prélèvements la veille de l’intervention ?
Il est indiscutable que le prélèvement réalisé en salle d’opération retarde le moment de l’intervention, même si on le réalise pendant le temps de l’installation chirurgicale, voire la première phase, non hémorragique, d’une intervention. En revanche, il est illogique de continuer le prélèvement dès lors que l’acte chirurgical est devenu hémorragique.
Pour gagner du temps, il a été proposé de réaliser les prélèvements la veille et jusqu’à 3 jours avant l’opération. Une telle pratique ne peut se concevoir qu’au sein d’un établissement de transfusion, et implique alors l’application des mêmes règles que pour le TAD (contrôles immunologiques et sérologiques notamment).
De plus, un tel prélèvement, réalisé en poches, est nécessairement limité en volume, et il a alors toutes les chances d’être inutile (cf infra). Certains auteurs [17, 108] ont proposé de pallier cet inconvénient en réalisant un prélèvement de 400-500 mLde GR (Ht =100 %), à l’aide d’un séparateur de cellules, avec réinjection de son plasma au malade. Avec cette technique d’aphérèse, réalisée dans les 72 heures avant l’intervention, le prélèvement de l’équivalent de 2,5-3 CGR en moyenne est bien supporté. Le prélèvement de cette quantité de GR, réalisé 3 jours avant une intervention, ne laisse pas le temps à une régénération significative des GR, et en aucun cas il ne peut donc prétendre se substituer à la TAD [4].
Compte tenu du fait que la réalisation d’une HDNVprend un temps non négligeable, certains auteurs ont proposé de réaliser une hémodilution hypervolémique, en se contentant de perfuser avant l’opération soit 500 mL de dextran 40 + 500 mL de Ringer lactate [194], soit de l’hydroxyéthylamidon d’un volume égal à 15 %de la volémie [131]. Cette technique n’a jamais été véritablement évaluée.
Efficacité de l’hémodilution normovolémique Par rapport au simple abaissement du seuil transfusionnel (hémodilution « au fil de l’eau »)
Le principe mathématique qui est utilisé pour calculer le volume de sang à prélever pour abaisser l’Ht à un niveau donné permet aussi une modélisation de l’ensemble du processus de l’HDNV, grâce à laquelle il est possible de déterminer dans quelle mesure cette technique permet de diminuer les pertes de GR peropératoires. Cette modélisation permet très aisément de comparer l’HDNV au simple abaissement du seuil transfusionnel de l’hémodilution « au fil de l’eau ». Plusieurs modèles ont été récemment proposés. Ils diffèrent quelque peu entre eux au niveau des hypothèses faites quant au schéma transfusionnel adopté.
Dans le modèle de Feldman et al [57], il est postulé que l’Ht final (Hf) de l’HDNV est l’Ht du seuil transfusionnel du patient. D’autres modèles [27, 40] ne font pas explicitement cette hypothèse, mais postulent notamment [212] que :
– l’HDNV est entièrement réalisée avant le début du saignement chirurgical ;
– la transfusion est commencée dès que l’Ht seuil est atteint et est réalisée volume à volume ;
– elle commence par la restitution du sang autologue, dans l’ordre inverse du prélèvement ;
– le sang autologue est entièrement reperfusé.Quelles que soient les petites différences portant sur les hypothèses de départ, les déductions et conclusions que l’on déduit de ces modèles sont tout à fait concordantes. Pour illustrer ce propos par trois exemples, on s’appuiera sur le tableau I et sur le nomogramme de la figure 4 :
– on peut ainsi constater (fig 4) que chez un patient dont le volume sanguin théorique est de 5 000 mL (homme de 70 kg) et l’Ht initial à 40 %, il faut théoriquement abaisser l’Ht à 25 % et le maintenir à ce niveau pour diminuer par l’HDNV les pertes peropératoires de l’équivalent de 0,8 unité d’un CGR standard (145 mL de GR), par rapport à une simple hémodilution « au fil de l’eau » ayant le même seuil transfusionnel. Dans certaines situations, cette économie de 0,8 unité peut permettre d’éviter la transfusion d’un CGR homologue. Toutefois, pour arriver à ce résultat, il aura été nécessaire de prélever, avant le début de l’intervention, 2 300 mL de sang, soit l’équivalent de cinq poches standards contenant 450 mL de sang ;
– deuxième exemple : on peut voir sur le tableau II que si, chez ce même patient, on avait prélevé pour l’HDNV 1 450 mL (soit trois poches), l’Ht final aurait été de 30 %, et le gain potentiel n’aurait été que de 0,3-0,4 unité de GR ;
– dernier exemple : en hémodiluant à 20 %un patient de 70 kg dont l’Ht initial est à 45 %, on peut épargner jusqu’à 2,5 unités de sang. On retiendra simplement que pour cela, il est nécessaire de prélever neuf poches avant l’opération, et de perfuser 12 L de Ringer lactate ! (fig 3, 4).
Comme les équipes qui pratiquent l’HDNV prélèvent rarement plus de 2 unités de sang total, et comme pour beaucoup de ces équipes le seuil transfusionnel est souvent de l’ordre de 9-10 g d’Hb/dL, le gain de cette pratique, en termes de diminution des pertes de GR, est faible et n’a pratiquement aucune chance de se traduire par une diminution des apports de sang homologue. Or une lecture rapide des dizaines de publications consacrées à l’HDNV laisse l’impression que cette technique a réduit considérablement la consommation de sang homologue, alors que le plus souvent ce n’est pas l’HDNV qui en est directement responsable, mais tout simplement l’abaissement du seuil transfusionnel observé depuis la deuxième partie des années 1980. En fait, la très grande majorité de ces publications ne résiste pas à une lecture un peu attentive.
Si l’on considère, par exemple, l’HDNV dans le cadre de la chirurgie cardiaque, on ne retrouve que huit études qui soient prospectives et à peu près randomisées [192]. Trois de ces études concluent à l’absence d’efficacité de l’HDNV, et cinq à son efficacité. L’étude dont la qualité méthodologique est probablement la meilleure est celle de Helm et al [85].
En réalisant une HDNV de telle sorte que l’Ht soit à 17,6 % pendant la CEC, au lieu de 21,6 % en l’absence de prélèvement préopératoire, ces auteurs aboutissent à ce que seulement 17 % des patients qui ont été prélevés reçoivent des GR homologues, contre 52 % en l’absence d’HDNV. Le volume de sang prélevé pour l’HDNV était compris entre 980 et 2 240 mL. D’autre part, cette étude a montré que le sang total frais n’avait pas l’effet hémostatique attendu, même chez les patients pour lesquels on disposait de 4 unités ou plus. De ce point de vue, ces résultats vont dans le même sens que les travaux récents qui remettent en cause l’efficacité du plasma riche en plaquettes dans cette indication [170].
L’International Study of Peri-Operative Transfusion a récemment réalisé une méta-analyse des travaux publiés de 1966 à 1996, sur l’HDNV et son efficacité [28]. Dans une masse de 1 573 publications, il n’a été retrouvé que 24 études contrôlées et randomisées. La médiane du score de Jadad, qui évalue la qualité méthodologique des études était, pour ces 24 études, de 1 (maximum possible de 5 quand le travail est irréprochable). Le protocole transfusionnel n’était précisé que dans neuf de ces 24 études ! Dix-sept fois sur vingt-quatre la quantité de sang prélevé pour l’HDNV était inférieure ou égale à 900 mL. La conclusion générale de cette analyse a été qu’à défaut d’une grande étude méthodologiquement indiscutable, il n’était pas possible actuellement de dire si l’HDNV est plus efficace que le simple abaissement du seuil transfusionnel, pour diminuer le risque d’exposition au sang homologue.
Les auteurs de la méta-analyse font état de quelques tendances :
– l’HDNVdiminuerait de 1 unité la consommation deCGRen chirurgie cardiaque, vasculaire et urologique. Son efficacité serait nulle en orthopédie (quatre études retenues) ;
– quand on ne prend en compte que les études où le volume prélevé était inférieur à 1 000 mL, la diminution de l’exposition au sang homologue n’est pas significative. En revanche, cette diminution est nettement significative quand on ne prend en compte que les six études où le prélèvement a été supérieur ou égal à 1 000 mL ;
– quand la quantité des pertes sanguines rapportées est supérieure à 1 000 mL, l’HDNV apparaît significativement efficace, ce qui n’est pas le cas quand les pertes sont inférieures à 1 000 mL ;
– quand on ne prend en compte que les huit études où le protocole transfusionnel était bien précisé, l’HDNV n’apparaît pas efficace, alors qu’elle est apparue très efficace quand la méta-analyse ne portait que sur les études où le protocole transfusionnel était mal ou pas du tout indiqué !
· En résumé
Il nous semble licite de retenir de cette revue de la littérature que l’HDNV ne permet une épargne supplémentaire de sang homologue, par rapport à l’hémodilution « au fil de l’eau », que dans les situations où sont réunies les conditions suivantes :
– prélèvement supérieur à 30 % du volume sanguin théorique ;
– seuil transfusionnel périopératoire inférieur à 27 % ;
– pertes sanguines prévisibles nettement supérieures au volume prélevé.
À l’occasion d’une intervention pour laquelle on prévoit une perte sanguine supérieure à un demi-volume sanguin théorique, une HDNV, qui amène l’Ht au même niveau que le seuil transfusionnel décidé pour ce patient, diminuera presque à coup sûr le nombre d’unités homologues consommées. Les modèles mathématiques permettent de préciser pour quel volume de sang perdu une HDNV diminuera très probablement la consommation de sang homologue en fonction des Ht initiaux et finaux (tableau II).
Par comparaison avec la TAD
Compte tenu du fait que le coût réel d’une TAD est beaucoup plus élevé que celui de l’HDNV, il est tout à fait légitime de se poser cette question. On se la pose aussi, si l’on a en perspective de rendre plus efficace l’HDNV par un traitement préalable par rh EPO (cf infra). On se la pose enfin dans un contexte médicojuridique, notamment aux États-Unis où les textes de bonne pratique recommandent plus fortement qu’en France le recours au sang autologue. Dans ce contexte, la réalisation rapide d’une « petite HDNV » peut constituer, en cas de contestation, une justification à l’absence de TAD. Ces données sont suffisantes pour expliquer le fort courant de pensée qui, aux États-Unis, prône le remplacement de la TAD par l’HDNV et qui est illustré par ce titre du plus récent article de Goodnough [70] : « Acute normovolemic hemodilution should replace the preoperative donation of autologous blood as method of autologous blood procurement. »
Si l’on se place dans une perspective économique ou médicojuridique, la question est donc tout à fait pertinente. En revanche, si l’on se place dans une perspective purement médicale de diminution de l’exposition des opérés au sang homologue, elle l’est beaucoup moins. En effet, les arguments pour affirmer que l’HDNV est aussi efficace que la TAD sont pratiquement inexistants. Ils se résument à deux articles, où la comparaison des deux techniques a été effectuée dans le cadre de la chirurgie radicale de la prostate. L’un de ces travaux reposait sur une comparaison indirecte des deux techniques à partir d’une sériehistorique [135]. L’autre étude a comparé de façon prospective et randomisée les deux techniques chez 50 patients [140]. Dans cette étude, les quantités de sang prélevées lors de l’une ou l’autre technique étaient de 3 unités pour la TAD et pour l’HDNV. Aucun patient du groupe HDNV et deux patients du groupe TAD ont reçu du sang homologue.
Mais comme les pertes sanguines moyennes (1 100 et 1 200 mL) étaient inférieures aux quantités de sang prélevées, et comme l’Ht moyen à la fin de l’intervention était proche de 35 % dans les deux groupes, on a toutes les raisons de penser que la mise en oeuvre de ces deux techniques était statistiquement inutile. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que leurs résultats se soient avérés comparables ! C’est d’ailleurs la critique que l’auteur de ce travail s’est faite très récemment [161]. Face à ces deux études, deux travaux européens prospectifs et randomisés [120, 157], réalisés dans le cadre de l’arthroplastie totale de hanche, ont rapporté des résultats radicalement différents. Les volumes de sang total prélevés pour l’HDNV étaient de 700 et 1 000 mL, et pour la TAD de 1 350 et 1 150 mL. Les concentrations postopératoires immédiates de l’Hb étaient voisines de 11 g/dL dans la première étude, et de 10,5 g/dL dans la deuxième, mais le saignement chirurgical mesuré dans les deux études était supérieur aux volumes prélevés. Finalement, les nombres des patients ayant reçu du sang homologue dans les groupesTADétaient respectivement de 2/16 et 0/14, alors qu’ils étaient de 15/16 et 12/14 dans les groupes HDNV. On peut faire des critiques méthodologiques à ces deux études, notamment quant aux volumes prélevés pour l’HDNV, qui étaient à l’évidence insuffisants. Toutefois, malgré ces restrictions, on peut considérer qu’aucune étude clinique n’a montré à ce jour que l’HDNV pouvait être aussi efficace que la TAD pour diminuer le risque d’exposition au sang homologue.