Anesthésie et analgésie péridurales
Jean-Jacques Eledjam : Professeur à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, chef de département
Pascal Bruelle : Chef de clinique à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, assistant des Hôpitaux
Eric Viel : Praticien hospitalier, anesthésiologiste des Hôpitaux
Jean-Emmanuel de La Coussaye : Praticien hospitalier, anesthésiologiste des Hôpitaux
Département d’anesthésie-réanimation, centre hospitalier universitaire, 30029, Nîmes cedex France
Résumé
La première anesthésie par voie péridurale est attribuée à Sicard et Cathelin qui, dès 1901, utilisent l’anesthésie par voie caudale pour des actes chirurgicaux. En 1921, Sicard décrit la technique de repérage basée sur la perte de résistance à l’injection d’un fluide. Il faut attendre 1931 pour qu’Aburel administre un anesthésique local par voie péridurale pour induire une anesthésie en cours de travail. Dogliotti introduit la notion d’analgésie péridurale segmentaire et utilise cette technique pour des interventions chirurgicales. Il décrit également les approches médiane et paramédiane de l’espace péridural. En 1949, l’anesthésie péridurale continue est recommandée par Curbello qui, le premier, introduit une sonde urétérale dans cet espace. Tuohy met au point l’aiguille à pointe ronde.
L’anesthésie péridurale gagne beaucoup en fiabilité dès l’avènement de la lidocaïne, en 1948, puis de la bupivacaïne en 1963. De nombreux anesthésistes, dont Moore, Bromage et Bonica, contribuèrent à son essor.
ANATOMIE
Seules seront abordées les notions d’anatomie susceptibles d’avoir une incidence sur la réalisation pratique de l’anesthésie péridurale (APD).
Structure ostéoligamentaire du rachis (fig. 1 A)
Le rachis est constitué de 33 vertèbres qui se répartissent en 7 cervicales, 12 dorsales, 5 lombaires et 5 sacrées coalescentes. Le rachis se termine par la fusion de 5 corps vertébraux pour constituer le coccyx. Il existe 4 courbures physiologiques formant les lordoses cervicale et lombaire et les cyphoses dorsale et sacrée. Ces courbures se mettent en place lors de l’acquisition progressive de la station debout puis de la marche. Les vertèbres, situées au sommet de chaque courbure (C4, T6, L3, L5), constituent les zones de plus grande mobilité. Divers repères de surface permettent de distinguer les niveaux osseux. L’épineuse de C7 est proéminente à la base de la nuque, l’épine de l’omoplate correspond à l’épineuse de T3 et sa pointe à T7. L’épine iliaque antérosupérieure correspond à l’épineuse de L4 et la fossette lombaire à l’épineuse de L5.
La vertèbre, élément modulaire du rachis, est constituée par un corps, des pédicules et des lames qui fusionnent pour former l’arc vertébral. En arrière, les lames se rejoignent pour former les apophyses épineuses. A la jonction des lames et des pédicules s’insèrent les apophyses transverses. Chaque vertèbre possède, en outre, des apophyses articulaires supérieures et inférieures. La superposition des corps et des disques vertébraux en avant et des arcs vertébraux unis par les ligaments en arrière délimite le canal rachidien. Celui-ci contient la moelle et les racines rachidiennes, les vaisseaux médullaires, les enveloppes méningées et le liquide céphalo-rachidien (LCR). Les racines traversent les foramen intervertébraux ou trous de conjugaison, constitués latéralement par la superposition des pédicules (fig. 1 B).
Les apophyses épineuses varient en taille et en orientation tout au long de la colonne vertébrale (fig. 2). Leur longueur est maximale au niveau cervical et diminue à partir de T10. Leur inclinaison, variable selon le niveau rachidien, conditionne l’obliquité de l’aiguille lors de la ponction péridurale. L’obliquité est maximale entre T4 et T9. A ce niveau, l’extrémité postérieure de l’épineuse correspond au corps de la vertèbre sous-jacente alors qu’au niveau lombaire et dorsal haut (T1 à T3), les apophyses épineuses sont horizontales et se situent dans l’alignement du corps vertébral. Au niveau cervical, l’inclinaison des épineuses est telle qu’elle impose d’introduire l’aiguille selon un angle de 45° à 60° par rapport à l’horizontale.
Les ligaments vertébraux assurent la stabilité du rachis. L’abord de l’espace péridural impose de traverser successivement le ligament sus-épineux, qui s’étend de C7 au sacrum, le ligament interépineux, tendu entre les apophyses épineuses, et enfin le ligament jaune. Ce dernier est situé entre les lames vertébrales. Il est formé d’un tissu élastique et offre une résistance nettement perceptible lors de la ponction. Toutes ces structures ligamentaires sont plus épaisses et plus résistantes dans la région lombaire.
Contenu du canal rachidien ostéoligamentaire (fig. 3)
Méninges
Trois méninges enveloppent la moelle épinière. La dure-mère spinale succède à la dure-mère crânienne et s’étend du foramen magnum ou trou occipital à la 2e vertèbre sacrée. Elle enveloppe la moelle et le contenu du sac dural et est accompagne jusqu’au foramen intervertébral en formant un manchon, avant de fusionner avec l’épinèvre (fig. 3). Les vaisseaux dorsospinaux suivent les racines dans cette traversée. Sur sa face profonde, la dure-mère reçoit les attaches du ligament dentelé émanant de la pie-mère. Cette dernière recouvre la surface de la moelle épinière. L’arachnoïde épouse la forme de la dure-mère qui la recouvre. Sa face profonde passe en pont sur les reliefs du tissu nerveux recouvert de piemère.
Entre dure-mère et arachnoïde, se développe l’espace sous-dural normalement virtuel. Cet espace contient parfois un volume relativement important de liquide séreux qui peut être confondu avec du LCR lors de la ponction. Entre l’arachnoïde et la pie-mère se trouve l’espace sous-arachnoïdien, ponctionné lors de la rachianesthésie. Les reliefs du névraxe en font une succession de volumes irréguliers où circule le LCR.
Espace péridural
Il s’étend du foramen magnum au hiatus sacré et circonscrit le sac dural et son contenu. Il est délimité en avant par la face postérieure des corps et des disques intervertébraux, recouverte dans la portion médiane du rachis par le ligament longitudinal postérieur qui se prolonge à partir de C2 par le ligament vertébral commun. La paroi postérieure de l’espace est formée par le ligament jaune. Les pédicules vertébraux et les trous de conjugaison constituent les limites latérales de l’espace.
Le volume de ce dernier varie chez l’adulte entre 50 et 110 ml, en proportion inverse du contenu du canal rachidien (fig. 4). De fait, il se rétrécit dans les zones correspondant à l’émergence des nerfs destinés aux membres. La distance entre le ligament jaune et l’espace péridural est également soumise à variation. Elle est de 5 à 7 mm à partir de L2, 3 à 5 mm en regard de T6 et d’environ 2 mm dans la région cervicale basse (fig. 4).
L’espace péridural contient des structures vasculaires et du tissu graisseux. Les veines péridurales représentent l’élément primordial et cheminent à la face antérolatérale du canal vertébral. Elles constituent les plexus veineux vertébraux internes et assurent le retour veineux des vertèbres, de la moelle épinière et des méninges. Ces plexus sont reliés à la circulation systémique par l’intermédiaire des veines iliaques internes, des veines intercostales et vertébrales, et des veines azygos. Dépourvus de système valvulaire, ces plexus répercutent directement à l’espace péridural les variations de pression abdominothoracique. Ainsi, lors d’une compression cave, les plexus turgescents réduisent le volume de l’espace péridural. Le réseau veineux est à prédominance latérale et son effraction vasculaire peut être évitée par un abord médian de l’espace. Les artères à destinée médullaire proviennent, quant à elles, des artères segmentaires qui traversent les foramen intervertébraux. Elles se divisent en artères radiculaires antérieure et postérieure, et cheminent avec les racines nerveuses pour s’anastomoser et former les artères médullaires antérieure et postérieure. La partie inférieure de l’artère spinale antérieure peut être alimentée par l’unique artère d’Adamkiewicz. Celle-ci naît des dernières artères intercostales gauches et émerge à l’étage lombaire supérieur. Elle peut être lésée lors du cathétérisme de l’espace péridural.
L’espace péridural contient également des vacuoles graisseuses enserrées dans un tissu aréolaire. Le contenu graisseux prédomine dans la région postérieure de l’espace entre le ligament jaune et les foramen intervertébraux. L’importance de ce tissu adipeux varie d’un individu à l’autre comme le montrent les épiduroscopies réalisées chez le cadavre [8]. Cette graisse constitue un compartiment pharmacologique particulier susceptible de fixer les agents anesthésiques très liposolubles et d’en modifier la cinétique.
Enfin, les attaches fibreuses entre la dure-mère et le ligament vertébral postérieur se prolongent inconstamment dans l’espace péridural par des septa qui suivent les fibres nerveuses jusqu’aux lames vertébrales. Lorsqu’elles existent, ces cloisons peuvent entraîner des difficultés de mise en place du cathéter et générer des inégalités de distribution des anesthésiques locaux (AL) qui sont administrés dans cet espace.